LA DEFAITE DE SATAN

 

LA DÉFAITE DE SATAN

 

          « Alors, quelles nouvelles ? » demanda Satan, avec un regard inquisiteur.

          «J'en ai de fameuses! » répondit le prince de l'Alaska qui venait d'entrer.

          « Aucun des Esquimaux n'a-t-il encore entendu ? » interrogea le leader infernal en fixant les yeux sur le Serviteur déchu.

          « Pas un seul ! déclara le prince en s'inclinant, car j'y ai bien veillé, vous pouvez le croire ! » et son rire était celui de la victoire assurée.

          « Personne n'a donc encore tenté l'aventure ? » poursuivit son seigneur d'un ton d'autorité.

          « Oui certes, ils ont bien essayé, mais leurs efforts ont été anéantis avant même qu'ils aient pu saisir un seul mot de la langue. Tandis que je parcourais mon vaste domaine, j'appris soudain que deux missionnaires venaient de pénétrer en Alaska et qu'ils étaient en route avec leurs chiens et leurs traîneaux, se dirigeant vers une grande tribu d'Esquimaux au-delà du cercle polaire. »

          « Et alors, qu'as-tu fait ? » interrogea Satan avec impatience.

          « Eh bien ! j'ai commencé par réunir un conseil de guerre avec les armées des ténèbres, et après plusieurs avis différents, nous décidâmes que le moyen le plus simple et le plus rapide serait de les congeler jusqu'à ce que mort s'ensuive. Sachant qu'ils en auraient pour un mois environ avant de traverser les plaines glacées qui les séparaient du but, nous nous mîmes à l’œuvre sans tarder. Tandis qu'ils allaient courageusement de l'avant, le cœur brûlant d'apporter à ce peuple le message du salut, voilà que leur traîneau, passant sur une mince couche de glace, la brise sous son poids et disparaît instantanément, emportant toutes leurs provisions alimentaires !

          « Fatigués et sans ressources dans cette situation désespérée, ils tâchèrent d'avancer quand même à travers l'inconnu redoutable de cette terre du Nord. Alors je donnai des ordres à mes anges, et déclenchai une terrible tempête de neige qui eut vite fait de les ensevelir, de sorte que le lendemain matin, il ne restait plus que deux cadavres raidis par le froid. »

          « Bravo ! Tu as fait là du bon travail ! Tu as bien servi mes intérêts », s'écria le chérubin déchu avec une expression de satisfaction atroce sur ce visage autrefois si beau.

          « Et toi, qu'as-tu à raconter ? » dit-il en s'adressant au prince du Tibet qui avait écouté avec plaisir la conversation.

          « Moi aussi, j'ai un rapport à faire, qui fera la joie de votre Majesté », répondit le prince.

          « Ah ! vraiment, et quel effort a été fait pour envahir aussi ton royaume ? » demanda Satan avec un intérêt croissant.

          « Voici, répondit le prince. Tandis que je vaquais à mes travaux à l'intérieur du pays, j'appris qu'une société venait de se fonder dans le but d’y introduire l’Évangile. Alerté immédiatement par cette nouvelle, je me hâtai de rassembler toutes mes armées et nous avons élaboré un plan devant assurer un plein succès.

          « Tandis que les deux envoyés de cette société, après avoir traversé 1a Chine, franchissaient bravement la frontière de la Terre Défendue, nous les laissâmes cheminer pendant trois jours, puis, à la tombée de la nuit, deux chiens sauvages les attaquèrent et l'un des deux, après un rude combat fut terrassé et finalement tué, tandis que l’autre, protégé sans doute par des forces invisibles qu’il nous était impossible de vaincre, parvint à s’échapper ».

          « A s'échapper, dis-tu, s'écria Satan avec un geste affreux, et a-t-il réussi à leur apporter le Message ? »

          « Oh ! Non, mon Seigneur, poursuivit le prince du Tibet d'un ton assuré, car avant même qu’il ait pu apprendre un seul mot de la langue, les indigènes le capturèrent, et son sort fut promptement réglé. On l’a cousu dans une peau de yak humide et laissé au soleil pour rôtir. A mesure que la peau se rétrécissait, ses os craquaient et au bout de trois jours de ce supplice, la vie fit place à la mort ».

          Pendant qu'il parlait, la salle d’audience était remplie de nouveaux arrivants, et tous rendirent hommage d’un commun accord à sa majesté Satan, imposant, malgré les ravages du péché. D'un geste, celui-ci rétablit le silence et demanda à un autre ange déchu : « Es-tu toujours le maître de l'Afghanistan, mon prince ? »

          « Je le suis, Majesté, répondit-il, et cela grâce à mes fidèles compagnons d'armes ».

          « Un effort a-t-il donc aussi été tenté dans ton royaume ? »

          « Oui, Seigneur, répondit le prince. Voici comment cela s'est passé ».

          D'un geste de la main, il rétablit le silence, et commença:

          « Ils étaient quatre messagers, tous zélés pour aller annoncer l’Évangile. Quand ils arrivèrent à la frontière où se dresse un poteau portant cette inscription : « Il est absolument défendu de traverser cette frontière de l'Afghanistan », ils se mirent à genoux pour prier ; mais malgré leur prière, nos vaillantes armées prévalurent contre eux. Après les avoir laissé avancer quelques pas, notre sentinelle fit feu et deux d'entre eux tombèrent morts tandis qu'un troisième fut grièvement blessé. Le quatrième parvint à traîner son compagnon jusqu'à la frontière où il ne tarda pas à mourir, et le dernier, perdant courage, s'enfuit à tout jamais du territoire ».

          Des applaudissements frénétiques saluèrent ce récit et le cœur de Satan tressaillit de joie, sachant qu'il était toujours le maître de ces régions défendues où, grâce à ses fidèles serviteurs, le Nom redoutable n'avait pu encore se faire entendre.

          « Voulez-vous nous dire, ô Roi puissant, pourquoi vous avez tant à cœur d'empêcher la proclamation de l’Évangile dans nos empires, alors que le prince de l'Inde, le prince de la Chine, et son altesse le prince de l'Afrique, sont envahis par des forces puissantes qui attirent chaque jour des hommes à Christ ? »

          « Ah ! je le sais bien, rétorqua Satan, mais je vais vous dire pourquoi je suis particulièrement jaloux de ces pays fermés. Il y a plusieurs prophéties, dont celle-ci est comme le résumé : « Cet évangile du royaume sera prêché dans le monde entier, en témoignage à toutes les nations, et alors viendra la fin ». C'est très clair, poursuivit-il à voix basse, que Dieu visite les nations pour en tirer un peuple pour son Nom. Après cela, Il reviendra, et son ordre suprême, c'est que des disciples soient suscités d'entre toutes les nations.

          Et il est évident que Jésus-Christ ne peut pas revenir pour régner avant que toutes les nations aient entendu la Bonne Nouvelle, car il est écrit : « Et je vis une grande multitude, que nul ne pouvait compter, de toutes nations, peuples et langues » (Apocalypse 7.9). Donc il importe peu combien de missionnaires sont envoyés dans les pays déjà évangélisés, ni combien de convertis ils peuvent faire, car aussi longtemps que l’Évangile n'a pas pénétré dans l'Alaska, le Tibet, l'Afghanistan et nos autres domaines, il ne peut revenir établir son royaume ».

          « Ainsi, s'exclama le prince de l'Indochine, si nous pouvons garder jalousement l'entrée de ces pays fermés, nous réussirons à entraver sa venue et à déjouer les plans du Très-Haut ».

          « Et nous y arriverons bien! s'écria l'orgueilleux seigneur du Cambodge. L'autre jour, un missionnaire lui-même écrivait : « Nous ne connaissons pas encore, à l'heure actuelle, un seul Cambodgien possédant l'assurance du salut en Jésus-Christ ». Et nous veillerons à ce que pas un seul n'échappe à notre contrôle, vous pouvez y compter ! »

          « Très bien, dit Satan, redoublons de vigilance afin d'entraver toute entreprise dans ces domaines ».

          Et tous de crier de joie tandis qu'ils repartaient chacun dans son empire, déterminés plus que jamais à ne laisser échapper aucune âme parmi leurs captifs.

          Cinquante ans se sont écoulés. En proie à une vive agitation, les sourcils froncés et préoccupé par un souci inhabituel, Satan marche de long en large, se parlant à lui-même.

          « Non, cela ne doit pas être ! Oh ! ce plan divin, il semblerait bien qu'ils en ont enfin saisi la vision. Évangélistes...pionniers, voilà des termes qui me sont odieux ! Et l'objectif de la Société: « Afin de hâter le retour de notre Seigneur en suivant son programme qui consiste, pour cette génération, à prêcher l’Évangile dans le monde entier, en témoignage à toutes les nations, ainsi qu'il l'a ordonné: « Allez par tout le monde et prêchez l'évangile à toute créature ». Son but est de travailler uniquement à l'évangélisation mondiale, évitant de faire double emploi avec les organisations existantes, dirigeant plutôt ses efforts vers les nations où Christ n'a pas encore été annoncé ».

          « Terres lointaines...travail de pionnier parmi les peuples, nations et tribus où Christ n'a pas été annoncé !...et cela afin de hâter son retour. Comme ils disent toujours : « Faire revenir le Roi ! » Oh ! ce Roi, ce Roi ! Il me faut déjouer leurs plans. Que va-t-il m'arriver quand il reviendra ? Cela ne doit pas être. Il faut que je réunisse mon état-major sans tarder ».

          En quelques instants ils étaient tous là, les anges déchus, les princes, les dominateurs des ténèbres de ce présent siècle – une multitude innombrable, groupés autour de leur grand chef écumant de rage. Un silence de mort planait sur l'assemblée, tandis que Satan prit la parole :

          « Prince de l'Alaska, viens ici ! » Tout tremblant et apeuré, ayant perdu son attitude hardie d'il y a cinquante ans, celui-ci s'approcha du redoutable monarque. « Prince de l'Alaska, demanda Satan, sont-ils entrés chez toi ? » « Oui, Seigneur, répondit-il, osant à peine lever les yeux. Nous avons pourtant fait de notre mieux pour les en empêcher. Mais l'exemple des deux hommes gelés dans la neige ranima le courage de toute l’Église. D'autres partirent pour la grande aventure. Nous en avons détruit plusieurs ; certains repartirent découragés mais, en fin de compte, en dépit de tous nos efforts, ils ont réussi à s'installer, sous la protection de légions d'anges, et nous n'avons pas pu les faire partir. Il y a maintenant des centaines d'Esquimaux dans le royaume de Dieu, et des milliers d'entre eux ont entendu l’Évangile ».

          Satan fulminait et hurlait de rage, tandis que ses acolytes rampaient à ses pieds, cherchant à fuir ce regard terrible qui les transperçait.

          « Prince du Tibet, viens ici ! cria-t-il, j'espère que tu as un meilleur rapport à me présenter ! »

          « Hélas ! Seigneur, mon rapport n'est guère plus réjouissant. Je dois confesser qu'ils ont réussi à pénétrer dans mon territoire, en dépit de tous nos efforts pour en triompher. Il existe actuellement un mouvement dont le but est d'entrer où personne n'a encore annoncé l’Évangile, et le prince de Chine s'est évertué, mais en vain, à détruire son chef. Protégé par des légions d'anges, il a survécu. Des chiens furent lâchés contre eux, les prêtres remplis de haine leur dressèrent des embûches, on eut recours à la famine, la maladie fit aussi son œuvre destructive; mais tout fut vain. Ils allèrent de l'avant malgré tout, de sorte qu'à l'heure actuelle des centaines de Tibétains sont à jamais perdus pour nous, et des milliers ont entendu la Bonne Nouvelle ».

          Redoublant de furie, Satan interpella alors un autre de ses anges : « Prince de l'Afghanistan, viens ici ! »

          D'un pas hésitant, les yeux baissés, il comparut tremblant devant son souverain.

          « Prince de l'Afghanistan, poursuivit Satan, tu as bien gardé mon domaine jusqu'à ce jour, si tu viens à faillir, toi aussi, je ne sais plus à qui je pourrai me confier ».

          A ces mots, il se fit un grand silence dans l'auditoire.

          « Parle donc, ô Prince, sont-ils entrés chez toi ? »

          « Oui, Seigneur, ils sont entrés ! »

          « Prince de l'Afghanistan, n'as-tu donc pas été fidèle à ton seigneur ? »

          « Oui, Seigneur, nous avons fait tout ce que nous avons pu, et jusqu'à l'an dernier, pas une âme n'avait encore entendu l’Évangile. Mais voici que deux jeunes gens ont été envoyés par cette fameuse Société, et...», « Qu'ils soient maudits ! » interrompit Satan.

          « Toute l’Église a prié » , poursuivit le prince. « Ils semblent tous savoir qu'il ne pourra revenir avant que toutes les nations aient entendu l’Évangile. Oh ! nous avons bien combattu, certes, mais les anges les ont gardés, et ils sont allés de l'avant, de telle sorte que, la semaine dernière, un habitant du pays a accepté Christ et plusieurs autres ont déjà entendu le Message ».

          « Maintenant, hurla Satan, tout est perdu ! Des milliers ont été sauvés aux Indes et en Chine, mais ces dernières nouvelles sont bien les plus terribles de toutes. Il se peut qu'il revienne bientôt, car selon la vision de ces gens-là, toutes tribus, peuples et langues seront bientôt atteints. Et alors, malheur! malheur à moi ! »

 

Oswald SMITH

www.batissezvotrevie.fr