LA PAPAUTÉ ET LA BIBLE

 

LA PAPAUTÉ ET LA BIBLE

 

          Quiconque a lu l’Évangile sans parti pris sait très bien que ce n’est pas là qu’il faut chercher l’origine de la papauté. « Pendant les trois premiers siècles, dit l’abbé Michaud, alors qu’on était à l’origine même des traditions apostoliques et qu’on pouvait connaître aussi sûrement que possible la nature et l’étendue de l’autorité papale, le pape n’était aux yeux de tous que l’évêque de Rome, le successeur des apôtres au même titre que les évêques des autres sièges fondés par les apôtres (1). »

          Cela est tellement évident qu’il faut descendre jusqu’au 4° siècle pour découvrir les premières traces de ce qui devait être un jour le pouvoir papal. Tous les Pères qui ont vécu avant cette époque ignorent absolument les prétendus privilèges des évêques de Rome. Aucun d’eux n’applique à ces évêques les paroles du Christ adressées à Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » (Matthieu 16.18-19). Ils considèrent le pouvoir des clés, non comme le privilège particulier de cet apôtre, mais comme l’apanage commun de tous les autres.

          C’est bien là d’ailleurs le véritable enseignement de l’Évangile. Quand Jésus prononce cette fameuse parole : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église », il a en vue, non l’apôtre lui-même, mais la belle confession de foi qu’il venait de faire : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». C’est là ce que reconnaît saint Augustin lui-même, quand il déclare que « la pierre c’est le Christ » (2). « De fondement, en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, à savoir Jésus-Christ ». (1 Corinthiens 3.11) Pierre confirme lui-même, en toute humilité, cette vérité éclatante de lumière quand il s’exprime ainsi : « Approchez-vous donc de lui, la pierre vivante, rejetée par les hommes. La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la tête de l’angle » (1 Pierre 2.4 et 7).

          Le pouvoir de lier et de délier, promis d’abord à Pierre – mais promis seulement – est donné ensuite en même temps à tous les apôtres, et même à toute l’Église (Matthieu 18.18-19). Pierre n’a donc aucun pouvoir spécial.

          En faut-il d’autres preuves ? Écoutez le Christ parlant à ses disciples : « Pour vous, ne vous faites pas appeler « Rabbi » (maître) car vous n’avez qu’un Maître et tous vous êtes des frères. Ne vous faites pas appeler « Docteur » car vous n’avez qu’un Docteur, le Christ ». Celui qui voudra être le premier parmi vous sera votre esclave (Matthieu 23.8-12 ; 20.25-27). Ainsi, entendez-le bien, il n’y a pas et il ne peut y avoir de pape. Le seul maître dans l’Église, le seul directeur, c’est le Christ.

          Ce que le Christ nous enseigne ainsi, l’apôtre Pierre lui-même nous le répète à son tour, quand il se déclare « pasteur comme les autres et témoin comme eux des souffrances du Christ », quand il recommande de « paître le troupeau de Dieu, non comme dominant sur l’héritage du Seigneur, mais en se faisant de cœur le modèle du troupeau », quand il parle enfin de l’apparition « du Chef des pasteurs », c’est-à-dire du Christ (1 Pierre 5.1-4).

          La papauté est donc en opposition complète avec l’esprit comme avec l’enseignement du divin Chef de l’Église. Le titre de pape, comme la fonction même, est une nouveauté ajoutée au christianisme, mais que le christianisme répudie. Inconnue des apôtres et des chrétiens des premiers siècles, cette doctrine pernicieuse n’a pour base que des falsifications historiques et l’orgueil sacerdotal.

          L’épiscopat, comme charge distincte, n’apparaît dans l’Église que vers 130 ou 140. Ce n’est qu’à cette époque qu’il est question d’évêques à Rome. Tout ce qui va au-delà est absolument légendaire. Les historiens ne s’entendent même pas sur l’ordre dans lequel se sont succédé, jusque vers l’an 120, les hommes placés à la tête de l’Église de Rome, et élus – fait à noter – uniquement par les fidèles de cette ville.

          Quand, profitant de leur situation d’évêques de la première ville du monde, les pontifes romains commencent à manifester leurs prétentions ambitieuses, ils trouvent partout des opposants déterminés. C’est Victor, en 196, qui le premier laisse éclater l’esprit papal dans toute son orgueilleuse tendance à la domination. Mais il est vivement remis à sa place par les Évêques de l’Asie Mineure, Polycarpe en tête, comme par Irénée, de Lyon, et il voit ses prétentions foulées aux pieds sans aucun égard.

          Ce n’est que dans la seconde moitié du 4e siècle, après le Concile de Sardique, que l’évêque de Rome met en avant un droit positif : celui de haute judicature. Encore faut-il remarquer qu’Innocent 1er (402-417), qui s’efforce de donner au canon de Sardique toute son application, ne s’appuie pas pour cela sur la parole du Christ, mais uniquement sur les Pères et sur le Concile. Zozime, son successeur (417), émet, lui aussi, la prétention de juger en appel les causes ecclésiastiques, mais le Concile de Carthage le pria de se mêler de ses affaires.

          Vers le milieu du 5e siècle, Léon 1er prétend intervenir entre deux évêques des Gaules. Il rassemble même à Rome un Concile à ce sujet ; mais ni lui ni son concile ne sont écoutés des évêques.

          Citons enfin le témoignage, si décisif, de saint Grégoire, le Grand évêque de Rome, à la fin du 6e siècle. Il écrit ce qui suit à Jean, évêque de Constantinople, qui avait pris le titre d’évêque universel : « Par quelle audace ou par quel orgueil vous efforcez-vous de vous emparer d’un titre nouveau qui peut scandaliser tous les frères ?...S’emparer de ce titre impie, c’est imiter Satan...Que direz-vous, au terrible jour du jugement à venir, vous qui aspirez à être appelé dans ce monde non seulement pape, mais pape universel ? Repoussez cette perfide suggestion ».

          Ces véhémentes répréhensions de Grégoire n’empêchent pas son successeur, Boniface III, de solliciter et d’obtenir de l’empereur Phocas, en 607, ce même titre « impie » d’évêque universel. Depuis lors le pouvoir papal ne fait que s’étendre et s’affermir jusqu’à devenir ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un pouvoir omnipotent, incarnant en lui l’Église tout entière. Louis XIV disait : « L’État c’est moi ». Le pape, déclaré infaillible, peut maintenant dire à son tour : « L’Église c’est moi », et il le démontre par ses actes.

          Mais ce qui manquera toujours à cette chaîne de papes, si longue soit-elle, c’est le premier anneau, celui qui devrait la rattacher aux apôtres. Comme le fait remarquer un spirituel historien : « la chaîne n’accroche pas ». Dès lors, à quoi sert-elle ? Elle gît à terre, inutile et nuisible, comme une embûche sur le chemin.

          Parlerons-nous, après cela, de l’infaillibilité du pape, qui n’a été votée qu’en 1870, au Concile du Vatican ? A quoi bon ? Il s’en faut au moins de 1800 ans que cette doctrine soit apostolique, comme il s’en faut du tout au tout qu’elle soit chrétienne.

          Eh quoi ! si la papauté est déjà condamnée par l’Évangile, combien plus l’infaillibilité d’un homme pécheur ne le sera-t-elle pas ! Un pape infaillible, c’est, selon l’expression du comte de Montalembert, « une idole élevée au fond du Vatican ».

          Même au Moyen-Âge l’enseignement général était que le pape pouvait tomber dans l’erreur et devait être déposé et jugé comme tous les autres évêques se trouvant dans le même cas. Les faits d’ailleurs confirment cette théorie. Quant aux erreurs et aux contradictions des papes, elles s’appellent légion. Aussi cette prétendue infaillibilité a-t-elle été combattue jusqu’à nos jours par les plus éminents docteurs du catholicisme et n’a pu trouver sa définition dogmatique qu’en 1870, au Concile du Vatican, sous l’influence néfaste des Jésuites, et, malgré le manque de liberté, 88 évêques votèrent contre.

          On s’appuie aujourd’hui, pour prouver l’infaillibilité, sur cette parole du Christ à Pierre : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point » (Luc 22.32-34). Or écoutons ce que dit à ce sujet le célèbre et savant chanoine catholique Ignace de Doellinger :

          « Il est manifeste que ces paroles ne peuvent se rapporter qu’à Pierre personnellement et à sa conversion après avoir renié le Christ...Il est donc complètement contraire au sens de vouloir trouver là...une promesse de l’infaillibilité future d’une série de papes...Aucun des anciens docteurs de l’Église, jusqu’à la fin du 7e siècle, n’a conçu pareille interprétation. Tous, sans exception, au nombre de dix-huit, n’ont vu là qu’une simple prière du Christ pour que son apôtre ne succombât pas entièrement…

          « Or, comme depuis Pie IV (1559 à 1565) le serment universellement imposé au clergé contient l’obligation de ne jamais interpréter l’Écriture sainte autrement que d’après le consentement unanime des Pères, chaque évêque et théologien viole le serment qu’il a prêté lorsqu’il conclut exégétiquement du passage en question que le Christ a promis au pape le privilège de l’infaillibilité dogmatique » (3)

          C’est donc bien là un dogme de fabrication toute moderne, le plus nouveau des dogmes, né d’hier à peine, et aussi éloigné de l’enseignement du Christ que le ciel est éloigné de la terre.

 

F. MARSAULT

www.batissezvotrevie.fr

 

 

(1) « La Papauté anti-chrétienne », p.12

(2) Cent vingt-quatrième Traité sur Saint Jean

(3) « La Papauté », par I.de Doellinger, p.13 et 14, 1 vol. in-8

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0