LES ENNEMIS DU PAPILLON

    

LES ENNEMIS DU PAPILLON

 

« Vois combien mes ennemis sont nombreux, et de

quelle haine violente, ils me poursuivent. »

(Psaume 25.19)

 

          Avant de parler du réveil du papillon et de son entrée dans la gloire, il est un sujet d’une sombre réalité que je dois aborder avec détails, c’est celui de ses ennemis. Le papillon, qui ne saurait faire de mal à personne a, en effet, de nombreux et terribles ennemis. C’est l’enfant, c’est le collectionneur, c’est l’animal sous toutes ses formes.

          « Volent-ils dans les airs, dit F. de Rougemont, ils sont happés au passage par la rapide hirondelle, ou bien c’est une grosse et brillante libellule qui fond sur eux comme un oiseau de proie et les transperce et les dévore de ses mandibules puissantes. Passent-ils entre les buissons ? C’est la perfide toile d’araignée qui les arrête et les perd. Rasent-ils le sol ou se posent-ils à terre, d’autres insectes s’efforcent de les saisir. L’herbe, au printemps, fourmille de noires araignées, de fourmis, de coléoptères plus voraces et insatiables que les lynx et les panthères, les terribles carabes, les affreux staphylins qui, sans cesse, courent après la proie et se jettent avec une avidité vraiment féroce sur tout ce qu’ils rencontrent. N’ai-je pas vu un jour de mes propres yeux un de ces gros carabes, que l’on appelle ici cheval Martin, faire un saut en l’air de deux centimètres de hauteur, pour saisir au vol un papillon qui passait sans défiance au-dessus de lui ! Enfin, les fleurs même sur lesquelles les papillons aiment à venir se reposer, cachent parfois dans leur sein un ennemi mortel. Voyez-vous cette petite araignée verte à longues et fortes pattes qui se tient cachée, absolument immobile, la tête en l’air, ses grandes pinces ouvertes comme des tenailles, dissimulée au milieu de l’ombelle de fleurs de cette patte d’ours, de cette grande valériane ou de cette scabieuse ? Son immobilité parfaite, la couleur verte de son corps, la font échapper à tous les regards. C’est un piège vivant. Le papillon, sans défiance, vient se poser sur la fleur, il enfonce sa trompe de droite, il l’enfonce de gauche, il avance, il recule, enfin, il vient se placer au-dessus de l’araignée aux aguets. Le malheureux ! A l’instant même, le ressort se détend, les redoutables tenailles se ferment, le papillon, saisi par dessous les ailes, a le corps transpercé, il se débat en vain, il est sucé, vidé et bientôt ce n’est plus qu’un triste cadavre qui reste là sur la fleur, inerte, les ailes étendues. C’est ainsi que de toutes parts, et de nuit et de jour, la mort guette les pauvres papillons. »

          Et pourtant je ne vous ai pas encore parlé de son plus terrible ennemi, l’ichneumon, cette mouche allongée, grêle, roussâtre, armée d’une longue tarière qui s’attaque, non au papillon, mais à la chenille.

          Laissez-moi vous raconter comment je fis sa connaissance.

          Il y a quelques années encore, vivait à Martigny, M. Wullschlegel, un entomologiste distingué, qui, à la façon du célèbre Fabre, savait lire les secrets de la nature ; il publia un volume sur la faune des macro-lépidoptères du Valais. J’avais l’habitude d’aller le voir au premier printemps. Nous allions nous asseoir sur les rochers arides du Fully où dardent les rayons d’un soleil tropical, et je lui demandais de me raconter l’histoire de toutes les petites bêtes qui passaient devant nous. Et alors, de sa voix tranquille, franche de toute exagération, il évoquait devant moi de véritables drames.

          Ainsi, un jour que nous étions assis au bord du chemin, nous vîmes un ichneumon, d’un genre spécial, se poser sur le sol durci de ce chemin. Il était agité, il y avait je ne sais quel frétillement dans tout son être, sa petite tête s’inclinait pour écouter ou sentir ce qui se passait dans la poussière de la route. M. Wullschlegel me dit : « Vous allez voir ! A trois centimètres de profondeur doit se trouver la chenille de telle noctuelle. Cet ichneumon l’a perçue, il ne quittera pas le terrain qu’il ne l’ait saisie. » Et, en effet, l’ichneumon, qui avait flairé une proie sûre, grattait le sol de ses pattes avec une ardeur grandissante. Puis, il écoutait, reprenait son travail de perforation, jusqu’à ce que, ayant creusé une fosse de trois centimètres, il eut mis la chenille à nu. Alors, s’en emparant à la manière d’un vautour qui s’élance sur un oiseau, il plongea son dard sous la peau de la malheureuse victime et lui inocula une goutte de je ne sais quel soporifique qui, du coup, l’anesthésia. Il la transporta alors dans une espèce de petite amphore mastiquée, à longue encolure, qu’il avait fabriquée sur la branche d’un buisson. Il l’introduisit dans cette amphore, avec d’autres chenilles, jusqu’à ce que cette cachette à provisions fût pleine. Alors, au sommet de l’encolure, l’ichneumon pondit son œuf, cacheta l’orifice et s’en alla.

          M. W. m’expliqua que l’éclosion de l’œuf s’opérait une dizaine de jours plus tard environ, que la petite larve, suspendue à un léger fil de soie, descendrait le long de l’encolure, jusqu’au cellier rempli d’une provision absolument intacte, grâce à l’injection de la goutte anesthésique qui, pendant tout ce temps, maintient la fraîcheur de la chenille, qu’elle s’attablerait à son copieux festin, et qu’enfin, parvenue à sa taille normale, elle se transformerait en nymphe, puis en ichneumon qui, brisant la porte de sa prison, s’envolerait pour recommencer une nouvelle chasse et faire de nouvelles victimes.

          En parlant du diable, Jésus disait : « Il est meurtrier dès le commencement » ; littéralement, il est « tueur d’hommes ». Oui, il y a un tueur d’hommes qui nous guette et nous épie jour et nuit. Nous nous croyons à l’abri quand, sous l’épaisse muraille de nos systèmes philosophiques, nous avons caché notre tête. Hélas ! l’ichneumon, qui cherche toujours à tuer l’homme, est plus rusé que tout cela. Il flaire toutes les cachettes et les découvre. Il n’y en a qu’une qui soit invulnérable, c’est celle dont parlait Jésus lorsqu’il disait : « Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire ; mais moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie… je leur donne la vie, elles ne périront jamais et nul ne les ravira de ma main. »

 

Alexandre MOREL

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