LE PURGATOIRE

 

 

 LE PURGATOIRE

 

          Aucun des Pères et des docteurs de l'Église des premiers siècles n'a cru à l'existence de ce lieu de purification, où l'âme, dit-on, doit passer un temps plus ou moins long avant d'entrer au ciel. Pour eux, comme pour les apôtres et tous les chrétiens primitifs, il n'y a qu'un moyen unique de purification, c'est le sacrifice même du Christ qui, par sa mort, « ôte le péché du monde » (Jean 1.29) et dont le sang « nous purifie de tout péché » (1 Jean 1.7).

          Le purgatoire était encore inconnu au Ve siècle, comme le montrent ces paroles de saint Augustin lui-même : « Lorsque l'âme est séparée du corps, elle est à l'instant placée en paradis à cause de ses bonnes œuvres ou précipitée en enfer pour ses péchés* ».  « Il n'existe point de lieu mitoyen, dit-il encore ; celui qui n'habite point avec Jésus-Christ ne peut être ailleurs qu'avec le diable**». Justin Martyr déclare que « les âmes des bons sont dans un lieu agréable » en attendant la résurrection.

          C'est dans l'intervalle qui s'écoula entre l'époque où vivait saint Augustin et la fin du VIe siècle — de 430 à 600 — que l'idée que les âmes des justes peuvent souffrir après cette vie commença à prendre racine. Quant à saint Augustin lui-même, il est à cet égard dans l'incertitude la plus complète. « On peut, dit-il, mettre la chose en question pour savoir si elle est vraie*** ». Peu à peu cependant, l'idée fit son chemin.

          Il était réservé au pape Grégoire le Grand, à la fin du VIe siècle, de poser le premier fondement de cette prison des âmes qui s'appelle le purgatoire. Il composa à ce sujet un livre rempli des contes les plus absurdes. Cependant, la doctrine du soulagement des morts par les prières et l'argent des vivants ne fut introduite dans le culte public qu'en 998 sous les papes Jean XVII ou Grégoire V, et la fête des morts, approuvée par le Saint-Siège en 1001, fut dès lors régulièrement célébrée dans l'Église. En 1563 seulement, dans sa dernière session, le concile de Trente rendit enfin un décret faisant du purgatoire un article de foi imposé à tous les fidèles catholiques.

          Comme on le voit, c'est bien là, dans toute la force du terme, un dogme moderne dérivé en ligne directe du paganisme. Ce n'est qu'après coup qu'on a cherché, mais en vain, à lui trouver un appui dans l'Évangile, car les passages qu'on invoque en sa faveur n'ont aucune portée quelconque. Qu'ose-t-on invoquer, en effet, pour prouver l'existence du purgatoire ? Un passage où il est question de se réconcilier avec son adversaire pendant qu'on chemine avec lui, de peur qu'on ne soit jeté en prison (Matthieu 5.25-26). Qui donc, dans ce conseil de paix, pourrait découvrir le purgatoire ? On cite également cette parole du Christ : « Si quelqu'un a parlé contre le Saint-Esprit, cela ne lui sera remis ni dans ce siècle, ni en celui qui est à venir » (Matthieu 12.32). Or, c'est évidemment là une manière de parler qui signifie jamais, comme il est dit d'ailleurs dans l'Évangile selon Marc 3.29 : « Quiconque aura blasphémé contre l'Esprit Saint n'aura jamais de pardon. » Enfin, on met encore en avant cette déclaration de Paul : « Le feu éprouvera l’œuvre de chacun. Si l’œuvre bâtie sur le fondement résiste, son auteur recevra une récompense ; si son œuvre est consumée, il en subira la perte, quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu » (1 Corinthiens 3.12-15). De quoi s'agit-il ici ? D'un feu qui éprouve l'ouvrage, tandis que le purgatoire éprouve les personnes et les éprouve même horriblement. Pour voir là le purgatoire, il faut d'abord l'y avoir mis.

          On peut dire en toute vérité que le Nouveau Testament tout entier n'est qu'une longue condamnation de la doctrine du purgatoire. Si quelqu'un avait besoin d'être purifié, c'est bien le brigand sur la croix. Or Jésus lui dit : « En vérité je le dis, dès aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Luc 23.43). S'il y avait un purgatoire, Jésus aurait-il dit à ses disciples qu'il reviendrait les prendre avec lui (Jean 14.13) ? Aurait-il enseigné, dans la parabole du mauvais riche et de Lazare, que ce dernier en mourant fut porté par les anges dans le sein d'Abraham, c'est-à-dire dans le paradis ? Paul aurait-il désiré quitter ce corps « pour être auprès du Seigneur » (2 Corinthiens 5.8 et Philippiens 1.23) ? Aurait-il affirmé « qu'il n'y a plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus » (Romains 8.1) ? Jean, de son côté, aurait-il pu écrire : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ; dès maintenant — oui, dit l'Esprit — qu'ils se reposent de leurs fatigues, car leurs œuvres les accompagnent » (Apocalypse 14.13).

          Remarquez d'ailleurs, qu'au sujet de la vie à venir, l'Évangile ne fait jamais mention que d'un lieu de bonheur et d'un lieu de malheur, d'un paradis et d'un enfer ; jamais il ne parle d'un lieu intermédiaire, excluant ainsi toute idée même de purgatoire.

          Cette observation suffirait, à la rigueur, pour montrer comment ce dogme est en opposition absolue avec tout l'enseignement du Christ. Mais il y a plus : une telle croyance est une injure sanglante à l'amour de Dieu comme aux mérites mêmes du Sauveur.

          Quoi ? le Dieu de miséricorde, qui a donné son Fils au monde et qui offre sa grâce aux plus grands pécheurs nous dirait : Je te pardonne, mais en attendant, tu vas passer des centaines d'années peut-être, dans les flammes du purgatoire ? Ne serait-ce pas de sa part une indigne et cruelle dérision ? - Quoi ? Jésus-Christ a porté nos péchés sur la croix, « il a tout accompli », « il est pour nous justice, sanctification et rédemption » (1 Corinthiens 1.30). Et l'on vient nous dire que son sacrifice n'est pas parfait, qu'il faut y ajouter les souffrances inouïes du purgatoire !… - « Le sang du Christ nous purifie de tout péché », et, en face de cette parole de l'apôtre Jean, on ose soutenir que c'est nous qui devons nous purifier dans les flammes ! N'est-ce pas là fouler aux pieds l'Évangile, outrager odieusement le divin crucifié et déclarer Dieu cruel et menteur dans toutes ses promesses ?

          On ne peut songer sans indignation à toutes les iniquités qu'enfante chaque jour le purgatoire. Il fait de Dieu un Dieu d'argent, favorable aux riches et sans aucun égard pour les pauvres. Vous avez perdu quelque membre de votre famille. Le prêtre vous dit naturellement, qu'il est en purgatoire et qu'il faut des messes pour l’en tirer. Oui, mais les messes se payent. Vous êtes riche, vous versez l'argent, et les messes se multiplient et l'âme du défunt est tirée des flammes. Mais voilà un pauvre qui est aussi dans le deuil. Il voudrait également faire dire des messes pour le repos des siens. Malheureusement il n'a pas d'argent. Or. pas d'argent, pas de messe ! pas d'argent, pas d'âme arrachée aux tourments infinis du purgatoire ! Ainsi, parce que je ne puis pas payer le prêtre d'une Église qui a établi un tarif pour les grâces de Dieu et qui en trafique, je n'obtiendrai rien du Seigneur ? Les âmes de mes bien-aimés resteront indéfiniment dans ces terribles flammes ? Je vous le demande, si une telle énormité pouvait s'accomplir, où serait la justice de Dieu ? Où seraient son amour et sa compassion ? C'est pourtant la monstruosité qu'on nous enseigne — et qu'on pratique, — depuis que l'Église a trouvé cette mine d'or du purgatoire, qui fait couler le pactole dans son sein, mais qui couvre d'opprobre toute l’œuvre de Jésus-Christ.

 

F. MARSAULT

www.batissezvotrevie.fr

 

* « De la Vanité du Siècle », chapitre 1.

** « Livre du mérite des péchés et de leur pardon », chapitre 28.

*** « Cité de Dieu », 21, 26.

 

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