QUI NOUS ROULERA LA PIERRE ?

 

 

 QUI NOUS ROULERA LA PIERRE ?

 

« Il fait tout à merveille ». (Marc 7.37)

 

          Une question captivante se pose au sujet de la métamorphose, c'est la sortie du papillon de sa prison. Comment un être aussi délicat, sans force aucune, dont les pattes ne sont pas plus résistantes que celles d'une mouche, comment cet être fragile parvient-il à percer son cocon ?

          Les solutions sont infiniment variées. On peut cependant les ramener à trois. Il y a la solution par la chenille, la solution par la chrysalide et la solution par le papillon lui-même.

          Il y a la solution par la chenille. En façonnant son cocon ou sa chrysalide, elle songe à sa future sortie et y pourvoit. Celle du « lanestris » par exemple, tisse un cocon solide en forme de tonneau composé de fils et de gomme. On ne discerne aucune issue apparente, et pourtant la chenille a eu la précaution de ménager une ouverture hermétiquement fermée, que nul ne peut apercevoir, mais qui existe. C'est un couvercle retenu par quelques fils seulement. A la première poussée, ils sautent, le cocon s'ouvre et le papillon sort. Celle du « Carpini » construit de vrais ressorts qui éclatent au moment de l'éclosion. Telle autre dresse des portières qui s'ouvrent à deux battants, comme chez la « Prasinana », ou ménage un trou à fleur du bois, comme chez le « Brephos ».

          Il y a ensuite la solution par la chrysalide. Il en est qui, toutes bosselées, grimpent le long du couloir de bois où elle ont été déposées, exactement comme des ramoneurs dans leurs cheminées. Leur chenille, celle de la « Sésie » ou du « Cossus », entre autres, avait pratiqué ce couloir, laissé ouvert à son extrémité ; celle du « Versicolore », rugueuse, dure, anguleuse, se tourne et se retourne dans son cocon, jusqu'à ce que, comme par le moyen d'une vrille, elle ait coupé tous les fils. D'autres fois, c'est plus merveilleux encore. Après avoir percé sa galerie, la chenille avant de se chrysalider, se retourne sur elle-même dans son étroit couloir, sachant bien que le papillon ne le pourrait pas, puis elle ferme soigneusement l'orifice, mais avec un opercule si fragile, que la moindre poussée intérieure l'ouvrira. D'autres fois, le cocon a la forme d'une nasse, mais d'une nasse à rebours, par laquelle le papillon pourra sortir, mais par laquelle aucun ichneumon n'entrera. Ou bien, la chrysalide s'avance tout le long d'une galerie étroite où le papillon ne pourrait pas bouger, et arrive à l'issue extérieure. Elle sort sa partie antérieure, pas trop, car elle tomberait, ni trop peu, sinon ses pattes seraient prises ; juste ce qu'il faut. Là elle s'arrête. Quand le papillon éclot, il peut se développer sans difficulté aucune. Il n'a qu'à ouvrir son aile et s'en aller. Et ainsi de suite. Les obstacles les plus variés sont vaincus par les moyens les plus ingénieux. C'est F. de Rougemont qui nous a initiés à la plupart de ces observations si captivantes.

          Mais c'est la solution par le papillon lui-même qui offre les aperçus les plus magnifiques. Voici en effet le problème dans toute sa simplicité :

          Comment une frêle créature, enfermée dans un cocon dur comme de la pierre, réussira-t-elle à sortir de sa prison ? Par quelle poussée vigoureuse soulèvera-et-elle la lourde plaque de son tombeau, elle qui, comme je le disais, n'a que la consistance d'une patte de mouche, et s'élancera-t-elle dans le monde de la lumière ?

          C'est un bombyx, appartenant au genre des Notodontes, le « Bicuspis » qui va nous le révéler et nous montrer comment, ici encore, nous nageons en plein pays des merveilles. Les chenilles de cette famille s'enferment dans des cocons extrêmement durs que l'on aperçoit parfois sur le tronc des arbres, sous la forme de rugueux renflements d'écorce. Sans une intervention tout à fait extraordinaire, il est matériellement impossible que le papillon puisse jamais se dégager d'un cachot pareil. Mais voici ! Au moment de son éclosion, il projette une goutte d'un corrosif très violent contre la paroi de son cocon. Il n'en a qu'une ! Malheur à lui s'il ne savait pas la lancer au bon moment. Il resterait verrouillé dans son sépulcre, où il ne tarderait pas à périr misérablement.

          Sachant cela, je me procurai six cocons du Bicuspis, afin de les observer de près, et, apprenant que leur éclosion s'opérait vers la fin de juin, aux environs de 3 heures de l'après-midi – car il y a des papillons qui ont la régularité des chronomètres – je les plaçai bien en vue. Un certain jour vers 3 heures, j'aperçus tout à coup une tache grisâtre sur la partie supérieure du cocon. La goutte du corrosif, que le papillon venait de projeter, agissait en amollissant le cocon qui prenait la consistance du papier mâché. Puis, soudain, apparut un point brun. Pourquoi brun, me demandai-je, puisque le papillon du Bicuspis est d'un beau gris cendré ? Mais, en examinant de plus près, je m'aperçus que ce point brun n'était autre que l'extrémité de la chrysalide que le papillon gardait sur sa tête comme une calotte de vacher, et sous la protection de laquelle il se poussait pour se dégager de sa cellule, sans froisser son fin duvet. Quand, par cette trouée, le papillon, à moitié sorti, eut dégagé ses deux pattes de devant, son premier geste fut d'enlever sa calotte et de saluer le monde. Et la chose se reproduisit exactement de la même façon et, selon le même rite, chez les cinq autres cocons, qui tous entrèrent dans la vie avec la même salutation.

          « O mort, où est ta victoire ? O sépulcre, où est ton aiguillon ? Grâces soient rendues à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ ! »

 

Alexandre MOREL

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