LE DERNIER DES MÉTIERS

 

 

LE DERNIER DES MÉTIERS

 

« Je lui montrerai combien il faudra qu'il souffre pour mon nom » (Actes 9.16).

 

Saul de Tarse, le fougueux, le persécuteur, l'homme violent, venait d'avoir son chemin de Damas. Le mythe avait fait place à la réalité, celle d'un Christ resplendissant de gloire. L'amour divin allait chasser la rage humaine. La foi, combattue jusqu'alors avec hargne, deviendrait l'un des éléments essentiels du message du futur apôtre. Les ennemis seraient bientôt des frères bien-aimés. Le dompteur était dompté. Jésus avait gagné.

 

Trois jours plus tard, un disciple nommé Ananias reçoit un message de Jésus pour Saul. La route est désormais tracée pour l'apôtre des païens.

 

Dieu accomplira pour lui tous les desseins bienveillants de sa bonté. Toutefois, aucune lueur de gloire humaine dans cette parole prophétique d'Ananias, mais bien plutôt la vision d'un chemin de souffrance. Celui qui, trois jours auparavant, avait été abaissé jusque dans la poussière, allait être maintenu dans l'humilité tout au long de sa vie et ce, à l'école terrible du brisement de soi.

 

L'apôtre Paul est sans nul doute au nombre de ceux qui ont bu la coupe de la douleur jusqu'à la lie. A plusieurs reprises, et pour diverses raisons, il fait l'inventaire des difficultés rencontrées. La liste est impressionnante. Il déclare être serviteur de Christ par les travaux, les coups, et les emprisonnements (2 Corinthiens 11.23). Il ajoute : « Souvent en danger de mort, cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups moins un, trois fois j'ai été battu de verges, une fois j'ai été lapidé, trois fois j'ai fait naufrage, j'ai passé un jour et une nuit dans l'abîme. Fréquemment en voyage, j'ai été en péril sur les fleuves, en péril de la part des brigands, en péril de la part de ceux de ma nation, en péril de la part des païens, en péril dans les villes, en péril dans les déserts, en péril sur la mer… J'ai été dans le travail et dans la peine, exposé à de nombreuses veilles, à la faim et à la soif, à des jeûnes multipliés, au froid et à la nudité » (2 Corinthiens 11.24-27).

 

Il parle de ses épreuves en Asie : « Nous ne voulons pas, frères, vous le laisser ignorer : l'épreuve qui nous est survenue en Asie nous a accablés à l'extrême, au delà de nos forces, en sorte que nous avons été dans une extrême perplexité, même pour notre vie. Et nous nous regardions nous-mêmes comme étant condamnés à mort... » (2 Corinthiens 1.8-9).

 

A cause de l'excellence des révélations qu'il reçut de la part de Dieu, Paul souffrit d'une écharde dans la chair. Maintenu ainsi dans l'humilité, il accepta ce chemin douloureux en se jetant de toute la force de son être dans la grâce du Seigneur.

 

Il écrivit même : « C'est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses pour Christ... » (2 Corinthiens 12.10).

« Dieu, ce me semble, écrit-il encore, a fait de nous apôtres, les derniers des hommes, des condamnés à mort en quelque sorte, puisque nous avons été en spectacle au monde, aux anges, et aux hommes. Nous sommes fous à cause de Christ... nous sommes faibles... nous sommes méprisés ! Jusqu'à cette heure, nous souffrons la faim, la soif, la nudité ; nous sommes maltraités, errants çà et là ; nous nous fatiguons à travailler de nos propres mains... persécutés, nous supportons... Nous sommes devenus comme les balayures du monde, le rebut de tous, jusqu'à maintenant » (1 Corinthiens 4.9-13). « Nous souffrons tout, afin de ne pas créer d'obstacles à l'Evangile de Christ » (1 Corinthiens 9.12). Ailleurs encore, il déclare être à toute heure en péril (1 Corinthiens 15.30), et connaître l'abondance des souffrances de Christ (2 Corinthiens 1.5).

Les Eglises de la Galatie avaient besoin de savoir que Paul portait sur son corps les marques de Jésus (Galates 6.17).

 

« L'amour est fort comme la mort », a écrit Salomon. « Les grandes eaux ne peuvent éteindre l'amour, et les fleuves ne le submergeraient pas » (Cantique des cantiques 8.6-7). C'est l'amour ardent pour l'Eglise de Christ qui amena Paul à supporter toutes ces souffrances. Il écrit à l'Eglise de Colosses : « Je suis maintenant dans la joie en souffrant pour vous ; et ce qui manque encore dans ma propre chair aux afflictions du Christ, je l'endure pleinement pour son corps, qui est l'Eglise » (Colossiens 1.24).

Il entraînera son collaborateur Timothée dans le sillage du renoncement et de la souffrance. Ce jeune homme apprendra l'amour qui se sacrifie. Quand on sert l'Eglise et l'Evangile, il faut renoncer à soi. Paul lui écrit : « Sache souffrir avec moi pour l'Evangile, soutenu par la puissance que Dieu te donne » (2 Timothée 1.8).

 

« Prends ta part des souffrances comme un bon soldat de Jésus-Christ » (2 Timothée 2.3). « Sois sobre en toutes choses, apprends à souffrir » (2 Timothée 4.5). Lui-même était un modèle pour son enfant légitime en la foi : « ... L'Evangile, dont j'ai été fait le héraut, l'apôtre et le docteur des nations. Voilà le motif pour lequel je souffre ce que je souffre, mais sans en avoir honte » (2 Timothée 1.11-12). « Mon Evangile, écrit-il plus loin, pour lequel j'endure des souffrances jusqu'à être lié de chaînes comme un malfaiteur » (2 Timothée 2.9). Et encore : « ... J'endure tout pour l'amour des élus » (2 Timothée 2.10).

 

Pour avoir partagé l'intimité de son père spirituel, Timothée mesurait mieux que quiconque l'intensité des souffrances de Paul. L'apôtre lui rappelle en effet : « Tu as pleinement compris... mes persécutions, mes souffrances, telles qu'elles me sont arrivées à Antioche, à Iconium, et à Lystre, quelles persécutions j'ai endurées » (2 Timothée 3.10-11).

 

A Antioche, les Juifs, voyant la foule ) l’écoute de Paul, furent remplis de jalousie, et ils s'opposèrent à ce qu'il disait, en le contredisant et en l'injuriant. Ils excitèrent les femmes dévotes de distinction et les principaux de la ville ; ils provoquèrent une persécution contre Paul et Barnabas, et ils les chassèrent de leur territoire (Actes 13.45, 50).

A Iconium, ceux des Juifs qui ne crurent point excitèrent et aigrirent les esprits des païens contre les frères. Les païens et les Juifs, de concert avec leurs chefs, se mirent en mouvement pour les outrager et les lapider. Paul et Barnabas durent partir de là (Actes 14.2, 5, 6).

 

A Lystre, survinrent des Juifs qui gagnèrent la foule, et qui, après avoir lapidé Paul, le traînèrent hors de la ville, pensant qu'il était mort » (Actes 14.19).

 

A Philippes, Paul a été persécuté et insulté (1 Thessaloniciens 2.2). Après avoir délivré d'un démon une servante devineresse, l'apôtre rencontra bien des problèmes. Les maîtres de la servante, voyant disparaître l'espoir de leur gain, se saisirent de Paul et de Silas, et les traînèrent sur la place publique devant les magistrats. La foule se souleva aussi contre eux. Après qu'on les eut chargés de coups, ils les jetèrent en prison.

 

L'apôtre fait aussi mention des Juifs qui l'ont persécuté et l'ont empêché de parler aux païens pour les sauver (1 Thessaloniciens 2.15).

 

A Damas, le gouverneur du roi Arétas faisait garder la ville pour arrêter Paul, et c'est par une fenêtre, dans un panier, qu'on le fit descendre le long des murailles, et c'est ainsi qu'il parvint à s'échapper (2 Corinthiens 11.32-33).

 

Il écrit à l'Eglise de Corinthe : « Nous nous faisons respecter comme ministres de Dieu par une grande patience dans les afflictions, dans les détresses, dans les angoisses, sous les coups, dans les cachots, dans les émeutes, dans les fatigues, dans les veilles, dans les jeûnes » (2 Corinthiens 6.4-5).

 

Que s'est-il passé en Macédoine ? « Notre chair n'eut aucun repos, écrit Paul ; nous étions affligés de toute manière : luttes au dehors, craintes au-dedans » (2 Corinthiens 7.5).

 

Servir Dieu et servir l'Eglise, c'est l'apprentissage de la souffrance. Paul fait mention de ses luttes dans sa lettre aux fidèles de Colosses : « Je tiens à ce que vous sachiez toute la grandeur de ce combat que je livre pour vous, pour les Laodicéens, pour tous ceux qui ne me connaissent pas de vue... » (Colossiens 2.1).

 

Et mon pasteur ? Comme tous les tenants de Dieu entrant en lice, il a reçu la plus belle des vocations pour exercer le dernier des métiers. Le Seigneur lui apprend, comme à Saul, combien il faut qu'il souffre pour son nom.

 

Mon pasteur n'a certainement pas à supporter toutes les afflictions de Paul. Endurera-t-il la somme des souffrances mentionnées dans les Ecritures ? Certes non. Mais il apprend à souffrir. Il souffre. La douleur, quels qu'en soient les aspects et les nuances, est le creuset épuratif du service de Dieu.

 

Souffrir, souffrir beaucoup, souffrir jusqu'à la fin... De quoi rebuter les jeunes gens les plus ambitieux, les plus fougueux, piaffant d'impatience sous l'impulsion de désirs charnels, et pensant faire beaucoup mieux que tous ceux qui les ont précédés ! Servir Dieu est une tour dont la construction coûte cher si on veut l'achever. Il vaut la peine de ne pas se précipiter, de s'asseoir, et de calculer d'abord la dépense. Ceux qui nourrissaient le secret espoir d'un succès vaniteux ne sont allés, ni bien loin, ni bien haut.

 

Les Ecritures me présentent l'éventail des afflictions que mon pasteur peut éprouver. La liste dressée ici n'a pas la prétention d'être exhaustive, mais elle est suffisante pour m'ouvrir les yeux sur certaines réalités du service de Dieu.

 

 

L'homme seul

 

Certaines circonstances font de mon pasteur un homme seul. Pour épargner les faibles, pour ne pas ajouter tristesse sur tristesse aux fidèles durement éprouvés, il passe sous silence certains de ses combats, quelques-unes de ses souffrances.

 

Ce fut le cas d'Epaphrodite. Malade à la mort aux côtés de Paul, il n'avait pas informé l'Eglise de Philippes de son état. Il fut désolé que les chrétiens eussent appris sa maladie (Philippiens 2.26).

 

Il arrive que la solitude, ce désert obligé, souffle un vent aux hurlements effroyables qui pénètre jusqu'aux os.

 

 

L'égoïsme et l’indifférence

 

Emprisonné pour sa foi, Paul avait à coeur la situation spirituelle de l'Eglise de Philippes. Mais il semble que l'égoïsme était de rigueur en cet endroit. « Je n'ai personne ici qui partage mes sentiments pour prendre sincèrement à coeur votre situation » écrit-il ; « tous en effet, cherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ » (Philippiens 2.20-21).

 

Se retrouver tout seul dans le combat n'est certes pas une position enviable. Ni enviable, ni confortable. Mon pasteur apprend-il, en souffrant, la devise d'une Eglise tiède : « Chacun pour soi dans ce chemin d'égoïsme qu'on appelle la vie » ?

 

 

L'abandon

 

Paul eut à croquer ce fruit amer ! Dans sa lettre à l'Eglise de Colosses, il transmet les salutations d'Aristarque, de Marc, et de Justus. Belle expression de communion fraternelle ! Dommage que beaucoup, par leurs fausses notes, aient transformé en cacophonie une aussi belle page. Paul ajoute : « Ce sont les seuls qui aient travaillé avec moi pour le Royaume de Dieu ; ils ont été pour moi une véritable force » (Colossiens 4.11). Où étaient donc tous les anciens compagnons d’oeuvre ?

 

Ce n'est malheureusement pas le seul exemple. Victoires, zèle exemplaire, conquêtes remarquables, mais aussi faiblesses, défaillances coupables, chutes retentissantes, s'entrechoquent dans l'histoire des premiers chrétiens. Du même coup se trouve gommée ma vision idéaliste de l'Eglise primitive.

 

L'Asie s'était singulièrement distinguée dans l'art de la désertion à l'heure du combat. « Tu sais que tous ceux qui sont en Asie m'ont abandonné, écrit Paul à Timothée, entre autres Phygelle et Hermogène » (2 Timothée 1.15). Démas, ancien collaborateur de l'apôtre, n'avait pas fait mieux : « Démas m'a abandonné par amour pour le siècle présent... » (2 Timothée 4.10). L'apôtre dit encore : « Dans ma première défense, personne ne m'a assisté, mais tous m'ont abandonné » (2 Timothée 4.16).

 

Gravir le raidillon, qu'un poète chrétien a qualifié d'étroit, de difficile, de rocailleux ; peiner, s'accrocher, et subitement ne plus entendre la voix, ne plus sentir le souffle, ne plus reconnaître le pas des compagnons de voyage ; se retourner, et ne plus voir derrière soi que son ombre se profilant sur le sentier aride ; continuer seul sous le soleil brûlant de l'épreuve, et ne plus regarder alors que vers l'invisible... Est-ce l'image de mon pasteur ?

 

Je pourrais céder à la tentation de démonter le mécanisme de la désertion. Mais est-ce vraiment utile ? Ne sais-je pas qu'au fond de mon coeur sont tapies toutes les pulsions charnelles voulant faire de moi un lâche ?

 

Un fait, par contre, attire mon attention. Paul a écrit : « Démas m'a abandonné... tous ceux qui sont en Asie m'ont abandonné... tous m'ont abandonné ». N'aurait-il pas dû s'exprimer ainsi : « Démas a abandonné le Seigneur... ceux de l'Asie ont abandonné Jésus-Christ... tous ont abandonné Dieu » ?

 

N'en déplaise aux partisans du cinquième Evangile, on n'abandonne pas son pasteur et son Eglise locale sans abandonner le Seigneur. Combien ont dit, comme pour doper leur conscience : « Je ne vais plus à l'Eglise, mon pasteur ne me voit plus aux réunions, j'ai délaissé toute activité spirituelle au sein de ma communauté, mais ... je n'abandonne pas le Seigneur » ! C'est une illusion pernicieuse. Que penserait un mari dont l'épouse, ne rentrant plus jamais à la maison, lui ferait dire : « Je pense toujours à toi, je ne t'abandonne pas, je t'aime toujours » ? L'amour de Dieu s'exprime dans l'amour des frères. Le service de Dieu se concrétise dans le service de nos semblables. Tout autre chemin n'est qu'une duperie prêchée du haut de la chaire de l'orgueil, de la propre justice, de la suffisance, et d'un esprit indépendant.

 

 

Le renoncement

 

Jésus parle de celui qui, par amour pour lui, et par amour pour l'Evangile, a quitté sa maison, ou ses frères, ou ses soeurs, ou son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou ses terres (Marc 10.29).

 

Celui-là a entendu l'appel du Maître. Il a renoncé à lui-même. Il s'est volontairement chargé de sa croix. C'est au calvaire que s'ouvre la route du service de Dieu.

 

Dans l'empreinte des pas de Paul, mon pasteur apprend à ne faire de sa vie aucun cas, comme si elle lui était précieuse. Il regarde comme une perte les choses qui étaient pour lui des gains.

 

Pour servir Dieu, mon pasteur a peut-être renoncé à une situation professionnelle confortable et à un salaire enviable. Il a peut-être abandonné des biens terrestres, sans parler de toutes les situations quotidiennes au travers desquelles il renonce à quelque bien-être légitime.

 

Un des rares soirs de la semaine, où il peut partager le repas avec les siens, il est demandé d'urgence auprès d'un frère gravement malade. Avec ses enfants pour quelques instants de joie saine et de détente, il est appelé au téléphone... La soeur D. vient de mourir. La porte de la maison de mon pasteur se referme sur des petites frimousses déçues. Ce soir-là, il va pleurer avec ceux qui pleurent. Un planning surchargé, un imprévu, et mon pasteur doit renoncer à son repas. Les premiers disciples connaissaient ce genre de situation : « ils ne pouvaient pas même prendre leur repas » (Marc 3.20). « Il y avait beaucoup d'allants et de venants, et ils n'avaient pas même le temps de manger » (Marc 6.31).

Etant au lit pour quelques heures de repos mérité, mon pasteur doit rapidement partir. Une famille ayant entendu parler de l'Evangile lui demande de venir prier pour un enfant malade. Ils habitent à trente kilomètres... Mon pasteur ne peut pas dire comme l'homme de la parabole : « Ne m'importune pas, la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit, je ne puis me lever... » (Luc 11.7). Il doit partir. Il ne s'appartient plus à lui-même. Il vit pour celui qui est mort et ressuscité pour lui (2 Corinthiens 5.11).

 

Ai-je vraiment compris les souffrances de mon pasteur ? Le service de Dieu n'est pas pour les mous. Les jeunes gens qui font passer leurs intérêts au premier plan, qui s'adonnent aux plaisirs plutôt qu'aux choses de Dieu, doivent envisager un autre chemin. D'ailleurs, la pénurie de vocations que nous enregistrons, n'est-elle pas révélatrice d'une défaillance de la consécration de nos vies à Dieu ?

 

(à suivre)

Paul BALLIERE 

(extraits du livre « Mon pasteur côté cour, côté jardin »)

www.batissezvotrevie.fr

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0