LE REGARD DE DIEU
Dieu possède un optimisme qui discerne les possibilités insoupçonnées de la nature la moins prometteuse. Son regard pénétrant devine la noblesse de caractère et les éléments positifs cachés dans un être peu engageant. Il maîtrise l’homme au tempérament difficile, le rusé, l’inapte. Dieu seul discernait un prince en Jacob. Il détient la clé de tous les problèmes de notre personnalité. Si nous abandonnons notre vie entre ses mains et lui laissons le soin d'agir en nous par un traitement énergique et radical, il fera entrer en jeu toutes ses ressources d'amour et de grâce.
« J'ai aimé Jacob, et j'ai eu de la haine pour Esaü » (Mal. 1.3 ; Rom. 9. 13). Cette déclaration de l'Ecriture nous laisse songeurs, car elle semble dépeindre Dieu comme capricieux. Mais n'oublions pas de tenir compte des deux faits suivants : Premièrement, cette manière de s’exprimer nous paraît rude, mais le verbe « haïr » n’avait alors pas tout à fait la même signification qu'aujourd'hui. Deuxièmement, Malachie et Paul se référaient principalement aux peuples d'Israël et d'Edom, descendants de Jacob et Esaü. Dieu ne s’est pas basé sur les mérites ou la personnalité de Jacob en pensant à lui car il a fait son choix dès avant la naissance des jumeaux (Gen. 25. 23). Paul affirme que Dieu, dans l'exercice de sa volonté souveraine, a décrété que c'est par la foi et non à cause de l’hérédité ou de nos mérites que nous sommes enfants de Dieu. En ce qui concerne les nations, l'élection n’est pas motivée par l’amour et la haine tels que nous les ressentons subjectivement. Dieu ne choisit pas d’une manière arbitraire ; on ne peut l’accuser de favoritisme. Les termes relatifs aux sentiments indiquent plutôt la fonction et la destinée de toute une nation. C'est Juda et non Edom qui fut élu pour révéler le développement du plan de Dieu dans l’histoire.
Mais cette assertion s'applique aussi à l'individu. Le choix de Jacob et le rejet d’Esaü ne résultent pas d'un caprice mais du discernement de Dieu. Derrière la bassesse et la mauvaise foi de Jacob se cachait la soif des choses spirituelles. A plusieurs reprises il fit violence à ce désir profond, mais il demeurait néanmoins en lui. Esaü, lui, était généreux, mais cette façade attrayante dissimulait le mépris du domaine spirituel. C'était un être plein de vie, préférant satisfaire ses sens plutôt que d'exercer un ministère spirituel.
En dépit des faiblesses et des manquements évidents de Jacob, sa soif des choses spirituelles fournit à Dieu une base pour l’œuvre qu’il poursuivait en lui et pour sa manière d’agir avec lui dans la suite. Cette constatation est une source d’encouragement pour le chrétien accablé par ses manquements. La nature humaine détecte facilement les pires défauts chez le prochain ; Dieu, lui, discerne ce qu’il y a de meilleur dans l’homme. Il perçoit clairement les aspirations les plus profondes de notre cœur et travaille à leur réalisation. C'est toujours dans cette intention qu’il nous châtie. Dieu est apparu à Jacob à cinq reprises ; chaque fois il a corrigé quelque bévue de son enfant intraitable et lui a invariablement fourni une occasion nouvelle de progresser.
Il poursuit son œuvre sans trêve
« Jacob » signifie « supplanteur ». Ce terme fait surgir en nous l’image d’un homme résolu qui poursuit sans se lasser son ennemi et qui, l'ayant atteint, le terrasse ; c’est ce que voulut Jacob, mais il en fut autrement : il trouva avec qui compter et finalement il dut capituler devant le Dieu d'amour qui le poursuivait sans trêve ni relâche et qui le terrassa au torrent de Jabbok.
Si Dieu ne l’avait pas poursuivi inlassablement, Jacob ne serait jamais devenu « vainqueur de Dieu » (Genèse 32.28). Il serait demeuré un machinateur désagréable et peu aimé. Cependant, dans son amour, Dieu l’a serré de près, depuis la première rencontre à Béthel et jusqu’à la conquête finale, dans le même lieu, trente ans plus tard. Cette poursuite divine a été marquée par quatre crises.
La première crise de Béthel eut lieu quand Jacob s’empara de la bénédiction destinée à Esaü. Sa faim dévorante une fois assouvie, Esaü comprit soudain ce qu’impliquait la manœuvre méprisable de son frère jumeau. Fou de rage, quand il s’aperçut de la fuite de son frère, il se lança à sa poursuite. Pendant ce temps, Jacob rencontrait Dieu pour la première fois. Sa tête reposant sur un oreiller de pierre, il eut une vision : « une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle » (Gen. 28.12). Puis Dieu parla, lui donnant des promesses formelles bien qu’imméritées : la prospérité et la protection, en plus de l’assurance que toutes les familles de la terre seraient bénies en lui et en sa postérité. Saisi de terreur, il s’écria : « Que ce lieu est redoutable ! C’est ici la maison de Dieu ! » Jacob fit un vœu — et l’oublia ! (Gen. 28.17, 20). Mais Dieu n’oublia pas.
Vint ensuite la crise de Péniel. Jacob était âgé de plus de cent ans. Pendant vingt ans il avait servi Laban son oncle, homme sans scrupules. Il est instructif d'examiner à quelle discipline Dieu soumit Jacob pour accomplir son dessein. Il le plaça auprès d’un homme plus mesquin encore, plus âpre au gain que lui-même. Jacob passa ces longues années à voler son oncle qui le lui rendit bien. Le supplanteur était supplanté et le tricheur trompé. Mais ce fut précisément au moyen de cette discipline pénible que Dieu le transforma. Les circonstances de famille ou les conditions de travail peu agréables de certains pourraient-elles avoir le même but ? Serait-ce pour la même raison que tel missionnaire doit travailler avec un collaborateur au caractère difficile ? Nous aimerions toujours pouvoir choisir des conditions de vie agréables et des compagnons aimables, mais Dieu se préoccupe davantage de notre croissance spirituelle que de notre confort terrestre.
N'est-il pas réconfortant de constater que Dieu demeura avec Jacob et le bénit tout au long de cette expérience ? Il ne permit pas à Laban de lui faire du mal (Gen. 31.7, 24,29). De même, notre « Laban » ne le pourra jamais. A l’honneur de Jacob, il faut dire qu'il ne chercha pas à se soustraire à l'épreuve avant le moment choisi par Dieu. Nous avons nous-mêmes tendance à nous rebiffer lorsque nous sommes en butte aux circonstances adverses et nous tentons d’en sortir ; mais contrecarrer la discipline divine nous conduira inévitablement à un déficit spirituel. Dieu écartera ces difficultés lorsqu'elles auront atteint leur but. Notre caractère se perfectionne et s'enrichit au contact des gens et des circonstances difficiles de la vie.
Alors qu'il était en route pour la maison paternelle, Jacob apprit qu’Esaü venait à sa rencontre. Une frayeur terrible, fruit de sa mauvaise conscience, s’empara de lui. Mais au lieu d’en appeler à Dieu et de lui demander la protection promise (Gen. 28. 15), Jacob eut recours à un plan charnel : il se fit précéder de cadeaux minutieusement préparés et destinés à apaiser la colère de son frère. Mais Dieu le poursuivait toujours inlassablement. « Jacob demeura seul. Alors un homme lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore » (Gen. 32. 24).
C'est Dieu qui engagea le corps à corps, et non Jacob, mais ce dernier se montra remarquablement résistant. Apparemment, il crut pouvoir s’en tirer comme par le passé. Mais la pression persistait. Il est très grave de résister au Seigneur dont le but est de nous bénir. Jacob ne se soumettant pas, Dieu le rendit boiteux. A partir de ce moment-là, il porta pour toujours la marque de cette terrible rencontre. Quand Jacob fut trop épuisé pour continuer à résister, il refusa de le laisser partir avant d’avoir reçu sa bénédiction, comme si tel n’était pas le but poursuivi par Dieu sa vie durant !
Il fallait que le « moi » si tenace de Jacob abdiquât pour que la bénédiction pût lui être accordée. Il devait reconnaître son péché et la bassesse de son propre tempérament. — « Quel est ton nom ? » lui demande l'Eternel. — « Jacob » — supplanteur, tricheur, trompeur — confesse maintenant le pénitent contrit ; et cette confession est la synthèse d’une vie de faillite totale. La sincérité amène toujours la bénédiction ; Jacob venait de prendre sa véritable position devant Dieu. Pour lui, Péniel, c’est-à-dire « la face de Dieu », signifiait la confession de la profondeur de son péché et la prise de conscience de sa faiblesse absolue. « J'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée », s’écrie-t-il, rempli d’effroi. Ce fut à Péniel qu’il reçut aussi une promesse de bénédiction pour l'avenir : « Ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël », prince de Dieu, « car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vainqueur » (Gen. 32.28). Il avait vaincu en capitulant. Dieu a réussi à briser sa dureté. « Il lutta avec l’ange, et il fut vainqueur ; il pleura et lui adressa des supplications » (Osée 12.5).
Dieu lui avait enlevé son nom infâme ; on pouvait s'attendre à ce que, maintenant, Jacob vive à la hauteur de son nouveau nom. Mais pas du tout ! Il était aussi méfiant et rusé qu'avant. Ces traits de caractère si ancrés en lui avaient de la peine à disparaître. En vérité, ils furent à l’origine de la crise honteuse et vile de Sichem. Dominé par la crainte d’Esaü, il ne poursuivit pas son voyage jusqu’au foyer paternel, mais il planta ses tentes du côté de Sichem. Tout comme son parent Lot, coupable à Sodome d’un acte de folie semblable, il paya chèrement son manque de foi. Sa famille entière fut impliquée dans une tragédie parce qu'il voulait se frayer un chemin loin des difficultés au lieu de se confier en l'Eternel qui lui était apparu deux fois. Le récit qui suit est une histoire de rapt, de meurtre et de terreur. Il en coûte cher d'oublier un vœu ou de se rétracter après s'être soumis.
Trente ans s'étaient écoulés depuis que Dieu l'avait arrêté pour la première fois. On comprendrait parfaitement que, de guerre lasse, il se soit désintéressé d’un caractère aussi buté et rebelle. Mais Dieu n’est pas un homme, son amour ne varie pas. Au lieu d'abandonner Jacob, Il va à lui une nouvelle fois. « Lève-toi, monte à Béthel, et demeures-y ; là, tu dresseras un autel au Dieu qui t’apparut » (Gen. 35.1). Ce fut la deuxième crise de Béthel.
Cette fois-ci, les leçons que Dieu lui avait données pendant trente ans portent leurs fruits. Jacob ne s’attarde pas. Il rassemble sa famille et se hâte vers Béthel. « Dieu apparut encore à Jacob... et il le bénit. » Dieu est absolument inlassable dans son dessein de bénir son peuple. Jacob entend à nouveau les mêmes paroles : « Tu ne seras plus appelé Jacob, mais ton nom sera Israël. Et il lui donna le nom d'Israël » (Gen. 35.9-10). Jacob se montrera enfin à la hauteur de son nouveau nom et ne retombera pas dans la ruse et la tromperie d’autrefois. La discipline appliquée par Dieu avait été efficace et Jacob, le vermisseau, peut prendre place dans la liste des héros de la foi d'Hébreux 11. « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rom. 5. 20).
Il n'existe pas de différence fondamentale entre un homme et un autre. Seule la portée de la tentation n'est pas la même. La grande majorité des chrétiens en proie aux tentations les plus courantes — jalousie, orgueil, ambition, profit, sensualité — font l’expérience commune de la défaite. Ils tombent plus bas qu’ils n'auraient jamais pu l’imaginer. Le même péché ancien reprend vie, rassemble ses forces, et les domine. Le même défaut tragique, la même faille dans leur caractère les traque tel un chien de chasse. Leurs échecs répétés annihilent toute perspective de progrès.
Le diable prêche le sermon du désespoir. Mais dans la vie typique de Jacob, Dieu annonce l’évangile de la restauration. Les lois de l’hérédité ne sont pas les plus puissantes. Le Dieu de Jacob est avant tout le Dieu de la « dernière chance » pour le chrétien qui tombe et retombe. Cette dernière chance ne supprime pas les conséquences des fautes passées, mais les manquements mêmes peuvent devenir le tremplin de nouvelles victoires. Ils ont une valeur éducative pour l'enfant de Dieu. Le Père céleste ne gaspille rien, pas même les défaillances.
La leçon principale qui ressort de la vie de Jacob est la suivante : aucun échec n’est nécessairement définitif. Avec le Dieu de Jacob, il y a toujours de l'espoir, quels que soient nos penchants et notre tempérament. Nulle défaite passée n'exclut la victoire future. Quand Dieu a sauvé et saisi un homme, il poursuit en lui son œuvre avec une persévérance inlassable, afin de le bénir.
Les hommes repentants qui ont failli ne sont pas éliminés de son service royal. Si Dieu avait rejeté Pierre à cause de sa chute, il n’y aurait pas eu de grand prédicateur de la Pentecôte. Dieu retourne la situation à la confusion de Satan en faisant surgir de nos défaites un ministère plus fécond.
Oswald SANDERS
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